Parmi les nombreuses barrières en terme d’adoption des nouveaux usages dans le cadre d’un réseau social d’entreprise, les craintes suscitées par la mise à disposition d’un espace d’expression public est pour moi l’une des plus importantes. Cette remarque est sans doute évidente pour beaucoup de monde mais force est de constater que les équipes responsables de projets RSE n’appréhendent pas toujours ces inquiétudes par le bon bout.
Par exemple, lorsque il est proposé à un client la mise en place d’espaces de discussions, sa première réaction est souvent la suivante :
« Ah mais ça veut dire qu’il me faut un modérateur », « Mais les gens vont pouvoir dire n’importe quoi ! », « Comment on va gérer ça ? », etc.
Dans ce type de situation la réponse qui me vient le plus rapidement à l’esprit est : « Si déjà ils arrivaient à lancer des conversations sans votre aide, ce serait génial ! ».
Ainsi, le réseau social en cours de lancement, plusieurs documents émergent rapidement :
- Une charte du bon contributeur
- Les 10 règles d’or de la communauté
- Un avertissement sur les conditions d’utilisation
- ….
Bien entendu tout cela est justifié, et ces documents permettent aux responsables de se couvrir en cas de problèmes. Car en effet, certaines situations peuvent causer un grave préjudice au management interne ou à l’entreprise :
- Un collaborateur se présente avec une fonction qui n’est pas la sienne
- Un collaborateur divulgue des informations susceptible de faire chuter le cours de bourse
- Un collaborateur tiens des propos diffamatoires
Il est important de répondre à ces interrogations et de sensibiliser les collaborateurs, mais d’un autre côté, ne risque-t-on pas de les inciter à ne pas contribuer ?
Pour bien comprendre de quoi nous parlons, mettons-nous à la place d’un collaborateur et nous comprendrons que ce dernier a beaucoup de choses à perdre en essayant de contribuer :
- Ça va me prendre du temps !
- Qu’est-ce que j’y gagne ?
- Je peux me compromettre !
- Si demain je change d’avis, ma contribution sera toujours visible !
- Suis-je légitime ?
- Que va penser ma hiérarchie ?
- Quelles seront les réactions de mes collègues ?
Des inquiétudes qui seront d’autant plus exacerbées par ces mots qui reviennent partout sur la communauté « Modération », « Charte », « Règles d’or », « Déontologie », « Avertissement », « Engagements », etc.
Au final la mise à disposition d’un espace d’expression public pourra donc sembler un problème alors que paradoxalement c’est cette particularité là qui fait la richesse du RSE.
Ainsi, en considérant uniquement les espaces d’expression publics par l’angle négatif, c’est-à-dire par la modération et le contrôle, le risque est d’arriver à un RSE inefficace. Beaucoup de collaborateurs n’oseraient pas s’exprimer et ceux qui le feraient, prendraient une multitudes de précautions avant de poster (entrainant ainsi une perte de temps pour le collaborateur et des échanges moins pertinents pour l’entreprise).
Dans beaucoup de projets RSE, on constate que c’est souvent cet axe-là dont ce préoccupe uniquement les équipes dirigeantes. « Qu’ils parlent mais surtout qu’ils ne disent pas de bêtises ! ». Evidemment il est important de ne pas négliger la modération et le contrôle, mais ces considérations-là ne doivent pas venir structurer un RSE. C’est-à-dire que la réflexion au moment d’initier un RSE ne doit pas se focaliser uniquement là-dessus.
Il serait préférable que autant, voire davantage, d’énergie soit consacrée à la réflexion sur le choix des sujets d’échange ainsi que sur l’exploitation des contributions. Rien de plus inutile qu’un RSE où il est demandé aux collaborateurs de s’exprimer par exemple sur, « le monde de la finance » ou bien sur « les perspectives de l’entreprise ». Des sujets inexploitables et trop généraux. Des sujets où finalement les collaborateurs auront beaucoup plus de chances de s’exposer.
Enfin concernant la modération, même si cette dernière est indispensable, il faudrait revoir la manière dont elle doit s’intégrer dans un RSE. Déjà le terme « modération » peut sembler anxiogène et ne veut finalement pas dire grand-chose (« je modère les propos trop virulents de mes collaborateurs » ?). Il est préférable d’utiliser des termes simples et positifs comme « Animation ».
Précédemment nous avions évoqué les craintes que pourrait avoir un collaborateur avant de contribuer (perte de temps, gain ?, enregistrement des contributions, etc.). Ne représenteraient-elles pas autant d’arguments pour faire confiance à la capacité d’auto-modération des collaborateurs ?
La question est délicate, elle implique de trouver un équilibre entre la liberté donnée aux contributeurs et le niveau de sensibilisation à mettre en œuvre face aux risques d’un RSE. Une absence de sensibilisation permettra de désinhiber partiellement les craintes des contributeurs mais peut potentiellement devenir dangereuse pour l’entreprise. Inversement une modération trop stricte et trop visible risque de faire fuir les contributeurs potentiels.
De plus, au fur et à mesure que les échanges se multiplieront sur des RSE, l’entreprise devra être sensibilisée aux problématiques liées à l’E-Reputation interne d’un employé. Elle devra être en mesure de fournir des réponses face à des interrogations comme : « De quels droits dispose un collaborateur face à un contenu qu’il aura déposé ? ». Tant que de telles interrogations ne seront pas tranchées ou éclaircies, il me semble difficile d’atteindre le potentiel maximum d’un RSE.
Et vous, comment intégrez-vous la modération au sein de vos RSE ?