Le 28 janvier 2010, The Economist publiait un article sur sa vision du marché des réseaux d’entreprise. Etant un journal généraliste, le discours se veut accessible et pédagogique. L’article parvient ainsi à montrer que les apports peuvent être nombreux et que l’investissement n’est pas vain, mais que ces systèmes suscitent encore beaucoup de méfiances.
En voici une traduction:
Un temps impressionnant est perdu à enquêter sur le temps perdu sur les réseaux sociaux. Des études prouvent que des sites comme Twitter ou Facebook sont des menaces pour la productivité. Ces études avancement même des chiffres. par exemple, sans facebook, la productivité des employés augmenterait de 1,5%. Mais c’est en supposant que les gens travailleraient plutôt que de chercher autre chose que Facebook pour se distraire… L’idée que se font les entreprises de pouvoir bannir ces sites est ambitieuse. Avec l’accès de plus en plus aisé à ces plateformes sur les smartphones, essayer de les en empêcher est une autre perte de temps.
Prenons l’exemple de Microsoft Excel. A son arrivée, Excel faisait peur aux entreprises car un tel outil offrait la possibilité aux employés d’y faire des fichiers de pronostics sur le football, ou même de simples listes de courses. C’est d’ailleurs exactement ce que les gens font, mais Excel est surtout devenu un outil de travail indispensable. A ceci près que les plateformes de réseau social n’ont pas été créées pour le travail comme Excel l’a été.
Toujours est il que grâce à des sociétés comme Apple, Google, ou Facebook, les gens ont accès à des technologies mobiles et des applications web souvent bien plus avancées techniquement que ce que propose l’entreprise. Et grâce au “cloud computing” qui propose toutes sortes d’applications accessibles sur internet, les gens sont capables d’utiliser ces applications où qu’ils soient, même en entreprise. Grâce à ses nouvelles technologies, les gens sont de plus en plus habitués à partager et à collaborer où qu’ils soient, en dehors du cadre de l’entreprise. Ils visent alors à en attendre autant dans le cadre de leur travail.
Or beaucoup d’entreprises sont cloisonnées en départements, équipes, etc… Ce qui ne facilite pas le partage d’information au delà de ses proches collaborateurs. Résultat, les efforts sont parfois dupliqués, et l’information de valeur n’est pas partagée. Ceci peut clairement engendrer des pertes de profit.
Les apports d’un réseau en entreprise
Cas extrême : le manque de partage d’information dans l’entreprise peut engendrer des pertes humaines ! Une récente attaque terroriste déjouée a mis en lumière le besoin de partage d’information entre agences de sécurité. Dans ce sens, le système « A-Space » a été déployé entre agences : une sorte de Facebook pour espions qui contient les profils d’analystes de différentes agences de renseignement pouvant entrer en contact et se partager des documents (images, vidéos, textes) en grande quantité. Avant la mise en place de ce système, il fallait des semaines parfois des mois pour rentrer en contact avec les bonnes personnes d’autres agences. Aujourd’hui, les 14 000 personnes inscrites sur cette plateforme peuvent rentrer en contact en un instant.
Les réseaux sociaux sont utilisés pour briser les barrières internes à l’entreprise également. En effet, certaines sociétés encouragent leurs employés à se servir des réseaux publics pour partager de l’information. Un moyen pour une entreprise d’avoir une image plus « humaine » aux yeux de ses clients. Des outils comme Twitter ont également l’avantage d’être gratuits et très faciles à prendre en main. Leur adoption est rapide.
Mais la plus grande partie des entreprises sont très mal à l’aise avec l’idée que les employés puissent partager toute sorte d’information à un public aussi large. Entre autres, elles ont peur de la fuite de données confidentielles, de la divulgation de futures innovations auprès de concurrents, et que ses réseaux sociaux publics soient difficiles à intégrer avec le SI interne. Ceci est d’autant plus vrai dans les secteurs règlementés comme la banque ou les produits pharmaceutiques.
Ceci a généré un intérêt pour les outils de réseaux d’entreprise 2.0, créés pour le monde de l’entreprise. Leur fonctionnement se veut proche des outils comme twitter ou facebook, mais gardent l’information dans l’enceinte de l’entreprise, hors de la vue du grand public. Les autres avantages sont nombreux. Par exemple, beaucoup d’entre eux savent récupérer les informations des Ressources Humaines pour remplir le profil des collaborateurs, et même se connecter aux autres outils du SI. Ceci favorise leur adoption, potentiellement devant les réseaux publics.
Ces « facebook d’entreprise » peuvent souvent être remodelés pour coller aux besoins spécifiques de l’organisation. Nicolas Rolland, qui contribue à déployer un réseau social pour les 90 000 employés de Danone, dit que la société a créé des groupes de discussion privés sur invitation, après avoir eu des demandes du personnel qui avait besoin de partager des informations confidentielles. Danone, réparti sur plus de 100 pays, teste son réseau sur plusieurs groupes « pilotes » avant de l’ouvrir à la totalité de ses employés.
La fin des cloisonnements
Même si nous sommes encore à l’aube du déploiement de ses outils, les organisations que ces initiatives favorisent beaucoup le partage d’information dans les communications internes. Samuel Dressen, qui supervise l’introduction de Yammer chez Océ, grande société de d’imprimantes aux Pays Bas, a indiqué que ce système de messagerie aide la société à repérer les endroits où le travail risque d’être réalisé en doublon, et à partager des informations à propos de prospects. Monsieur Rolland de chez Danone a reconnu que son système avait déjà permis de partager plus efficacement les bonnes pratiques.
Marc Benioff, PDG de Salesforce, prédit que la demande de réseaux sociaux d’entreprise décollera quand les managers se rendront compte qu’ils en savent plus sur des étrangers sur twitter ou facebook, que sur les gens de leur propre organisation. Il pense même que les réseaux sociaux d’entreprise pourront générer autant de chiffre dans le domaine des technologies de l’information que le fait le « cloud computing ». Les réseaux sociaux devront en tout cas franchir de nombreux obstacles pour se faire une vraie place dans le monde de l’entreprise.
Le premier d’entre eux est le doute qui subsiste quant à la capacité des réseaux d’amener de réels bénéfices. « Le plus grand défi auquel les entreprises doivent faire face, est que les apports mis en lumière par les RSE sont tous faibles » explique Greg Lowe, qui défend l’usage de Yammer et des médias sociaux chez Alcatel-Lucent. Pourtant, il y a lieu de penser que ses avantages sont suffisants pour justifier un investissement dans un RSE. Une étude faite l’an dernier par IDC a démontré que les personnes pouvaient passer entre six et dix heures par semaine à rechercher de l’information. En utilisant les réseaux sociaux pour trouver de l’information plus rapidement, les employés peuvent utiliser le temps libérer pour faire autre chose, dit Caroline Dangson, analyste chez IDC.
Les managers hésitent aussi à introduire de tels outils parce qu’ils craignent que le personnel puisse l’utiliser pour diffuser des commentaires politiquement incorrects. Andrew McAfee, professeur au MIT qui a vu de nombreux réseaux d’entreprise en action, pense que cette préoccupation est exagérée. Je trouve qu’il est difficile de de croire que les employés attendent les réseaux sociaux pour être enfin capables de diffuser des contenus inappropriés. Il fait cependant remarquer que parce chaque commentaire mène facilement à son auteur, les gens sont au contraire très prudents sur ce qu’ils diffusent.
Un fleurissement des idées
Un troisième obstacle est que les patrons sont inquiets à l’idée de voir se former des groupes informels de collaborateurs, que les managers ne pourront contrôler. C’est pourtant justement grâce à cela que les RSE d’entreprise prennent toute leur valeur. Bien souvent, les nouvelles idées – autant que les avertissements sur des menaces potentielles – viennent plus de groupes informels que de réunions officielles. Le problème est que les systèmes existants visent plutôt à renforcer le cloisonnement des équipes et des personnes, plutôt que de créer des ponts entre elles.
Des services tels que Yammer ou Chatter de Salesforce créent des environnements de travail plus ouverts laissant les gens voir ce sur quoi les autres travaillent et encourageant le partage. Le résultat est que les idées peuvent surgir de n’importe où. Ceci devrait être considéré comme une victoire, plutôt que comme une cause de suspicion. « Si vous faites confiance à vos employés, alors vous n’avez rien à craindre du déploiement d’un réseau social », explique Eugène Lee, PDG de Socialtext.
Les réseaux sont également un fabuleux moyen de capter le savoir et d’identifier les experts sur des sujets différents au sein d’une organisation. Mr Driessen de chez Océ dit que beaucoup d’anciens systèmes de gestion de connaissances n’étaient que d’ennuyeuses collections de documents. Les réseaux sociaux sont un progrès énorme par rapport à cela parce qu’ils lient documents et commentaires de personnes dont le savoir faire n’avait auparavant pas forcément été détecté. Suzan Livingston, chef du département des logiciels sociaux chez IBM, dit que les entreprises peuvent créer de nouveaux réseaux sociaux détenus conjointement, ou joindre des réseaux existants pour partager le savoir faire avec des étrangers.
Certains dirigeants voient un autre gros avantage au travail en réseau. Quelques systèmes sur le marché possèdent des outils d’analyse qui proposent aux gestionnaires de garder des traces de qui est régulièrement en contact avec qui, de quel sujet ils parlent, … Ces informations peuvent être utilisées par exemple pour identifier les bonnes personnes pour les bons projets, en fonction de leurs expertises et de leurs liens avec les autres, dont le support favorisera le succès du projet. Mais ces données pourraient aussi être utilisées pour faire des jugements sur un candidat à une promotion, ou tout simplement pour espionner ses collaborateurs. Tout ceci provoque bien des dégoûts parmi les gens. Le problème du traitement des données personnelles est important, non seulement au sein de l’entreprise, mais aussi sur les réseaux publics.
Source : The Economist