Beaucoup perçoivent l’entreprise 2.0 comme réservée à des collaborateurs familiers avec les technologies web. Certaines structures considèrent d’emblée que ce n’est pas pour elles aujourd’hui, éventuellement dans quelques années. Pourtant cette aisance avec les outils de l’Internet ne facilite que l’appropriation initiale des outils dans l’entreprise. Le développement des usages collectifs reste à faire et il fait appel à d’autres qualités. L’entreprise 2.0 tient avant tout dans la capacité de l’organisation à activer des réseaux et à les mettre au service de sa stratégie. Un mode de fonctionnement pas si étranger que ça à nos entreprises d’aujourd’hui. Sous cet angle l’entreprise 2.0 parait peut-être plus familière.
L’entreprise 2.0 est une évolution des modes d’organisation du travail
Une évolution sous la pression économique : les entreprises doivent se renouveler et s’adapter de plus en plus rapidement. Les évolutions technologiques et la compétition mondialisée peuvent remettre en question une position dominante. L’outil industriel disparu au profit des travailleurs de l’information, la structure des entreprises est désormais moins matérielle et plus humaine. Libérées de ces contraintes physiques, les organisations sont en apparence plus polymorphes. Cette nouvelle agilité demandée entraine l’ouverture d’espaces d’autonomies plus importants pour les travailleurs de l’information. Des modes d’organisation centrés sur les processus ont émané les modes d’organisation projets, ajoutant une composante transversale et aujourd’hui émerge un mode d’organisation réticulaire (en réseau) ouvrant la possibilité d’associer des réseaux de collaborateurs autour des processus et des savoirs formels de l’entreprise. Le réseau social de l’entreprise vise à favoriser l’intelligence collective, c’est à dire la capacité à mobiliser les bonnes personnes et leur permettre d’échanger pour apporter une solution.
Les promesses de l’entreprise 2.0 se situent dans une meilleure gestion des compétences, de nouvelles interactions favorisant la collaboration et l’innovation, une nouvelle proximité avec son écosystème (notamment ses clients), l’optimisation des processus et l’ouverture de nouveaux gisements de valeurs.
Lors de notre dernière étude (tome 3) sur le thème des RSE, nous avons montré les conséquences de cette démocratisation en cours, acté la légitimité acquise du participatif dans l’entreprise (a mettre au crédit des acteurs de l’e2.0) et sensibilisé aux nouveaux défis à relever. Regarder l’entreprise 2.0 comme un mode d’organisation, et non une boite à outils, permet de focaliser sur l’essentiel.
L’organisation réticulaire repose sur la mise en réseau des collaborateurs
L’enjeu pour l’entreprise est de développer le capital social de ses collaborateurs (ainsi que les pratiques conversationnelles induites) et de créer ce réseau interne entre ses collaborateurs et externe avec son environnement. Des réseaux qui vont fluidifier et faciliter les processus et les projets mais également les influencer.
Si les communautés focalisent souvent l’attention, elles ne sont que des lieux de rencontre visant à créer du lien. S’il s’agit d’un “entre-nous” qui encourage à l’échange, l’objectif n’est pas nécessairement que tout le monde contribue (ndlr : une erreur souvent commise). Une communauté est également un conteneur permettant d’organiser les échanges. Au même titre que les #hashtag sur Twitter (un réseau dont les conversations sont extrêmement nombreuses au point de générer un bruit important) qui permettent de fédérer sur un thème des utilisateurs, parfois sur un événement. Les réseaux sociaux (comme par exemple Foursquare) s’appuient également de plus en plus sur le lieu pour organiser les activités sociales et favoriser les mises en relation.
Un réseau qui sert en premier lieu à faire circuler de l’information
Dans une organisation réticulaire, chacun est un noeud “sensible”, c’est à dire un point de connexion avec la capacité de décider ou non de relayer un message, voire de l’enrichir. Un bon réseau s’évalue par le nombre de connexions mais aussi par l’activité de leurs noeuds.
Ceci est à comparer avec la chaine hiérarchique traditionnelle au travers de laquelle descend et remonte l’information. A noter que dans ce mode, les maillons sont censés relayer systématiquement l’information. C’est un système centralisé, maitrisé par l’autorité. Face aux défaillances et aux déficits structurels de ce mode, les collaborateurs communiquent autrement entre eux aujourd’hui dans les entreprises.
Au sein de ce réseau, tous n’ont pas la même activité. On parle beaucoup de Community Managers et de Curators. Le 1er vise à animer les communautés, donc à créer du lien. Le 2nd correspond plus a une qualité en matière de transmission de l’information. Ce dernier va agréger de l’information et y apporter une analyse. Ceci est une forme de factorisation des conversations, clarifiant les informations circulant.
Une organisation complémentaire et reposant sur celles existantes
Les processus et les projets restent des éléments structurants pour l’entreprise. L’autorité de ses acteurs n’est non plus pas remise en cause. En revanche, la subordination hiérarchique n’est plus le lien dominant entre l’entreprise et le salarié. Le rôle d’un collaborateur se définit de moins en moins par sa place dans l’organisation. L’organigramme n’est d’ailleurs plus une bonne représentation de l’entreprise.
L’entreprise 2.0 repose sur cette capacité à connecter les collaborateurs et les faire converser. Une bonne manière d’évaluer la réussite d’un projet 2.0 est de se demander s’il crée du lien et rend les collaborateurs actifs ? Nous avons d’ailleurs bâti la matrice des Potentiels sociaux dans ce sens pour rapprocher : concepts organisationnels, usages et solutions. De notre point de vue, beaucoup de projets dits “2.0” n’y répondent pas.
Cette connexion créée, il faut ensuite la garder (ou la rendre) active. Ce n’est pas parce que les gens sont connectés qu’ils sont en mesure de relayer. Le facteur humain entre en jeu, la confiance, le sentiment d’appartenance à une équipe, le respect mutuel, l’empathie, etc. L’influence d’un collaborateur dans cette organisation en réseau se mesure dans sa capacité à créer des liens mais surtout à générer des interactions : relais, commentaires ou recommandations. Une influence sur laquelle le collaborateur s’appuiera pour exécuter sa mission, au même titre que ses autres compétences.
Une continuité organisationnelle
L’ensemble des comportements “sociaux” ont bien un sens en terme de management et d’organisation des entreprises. Ils étaient déjà présents dans l’entreprise, la mouvance Entreprise 2.0 ne fait que mettre en évidence leur importance. Les collaborateurs mesuraient déjà bien l’apport d’une bonne connaissance de l’entreprise et de ses acteurs ainsi que le poids d’une bonne intégration dans l’organisation pour réussir ses missions. Ils sont déjà dans une dynamique de réseau, il ne reste qu’à l’organiser et l’aligner avec les activités opérationnelles. Les RSE permettent d’amplifier et d’outiller cette organisation en réseau. Il faut garder en tête que l’objectif est de mettre en relation les collaborateurs, développer les communautés de pratiques ne sont que des moyens. Il en existe d’autres.
Les RSE abordés par les “fonctions” génèrent souvent une incompréhension (légitime) des utilisateurs. Pourquoi donc se créer un profil ? A quoi bon décrire qui on est ? Pourquoi me demande-t-on d’accepter ou de refuser d’être en relation avec un collègue ? Pourquoi devrais-je noter les contributions de mes collègues ? L’expérience montre que ces fonctions expliquées au travers d’usages et dans une approche organisationnelle rencontrent un bien meilleur écho.
il s’agit de dé-diaboliser l’entreprise 2.0 vis-à-vis d’un rapport aux outils informatiques parfois difficile. Et la voir comme une réponse aux évolutions organisationnelles attendues par l’entreprise. Et si on partait du fonctionnement de l’entreprise actuelle pour expliquer l’entreprise 2.0, plutôt que des innovations fonctionnelles associées. N’aurait-on pas un meilleur retour ?
L’entreprise 2.0 est un changement de paradigme du point de vue du SI, provoque une rupture d’usage pour les collaborateurs mais s’inscrit comme une évolution des modes de management.