J’avais fini l’année 2014 en signant un dernier article sur l’économie participative, ou “crowd-economy”, inspiré par la conférence Le Web. Voici enfin la suite !
Entre temps, Bertand Duperrin a publié une série d’articles visant à clarifier le sujet (voir notamment celui-ci et celui-là). Il note avec justesse que les business models de services tels que Uber ne sont pas si nouveaux que cela. De plus, l’économie collaborative n’a pas attendu le développement du numérique. Il est vrai, par exemple, que le service d’échange de maisons Homelink existe depuis les années 60 sous la forme de catalogues papier. Toutefois le numérique a permis de décupler les usages et aussi les services (de nouveaux acteurs tels que HomeExchange sont arrivés par la suite).
Mais je reviens à mes moutons : lors d’un échange passionnant sur le sujet (l’économie participative, donc …) différents risques et enjeux, spécifiques à ce domaine, ont été abordés. Les protagonistes étaient particulièrement bien placés pour en parler, bien qu’évidemment, ils défendaient l’image de leur marque : il s’agit de dirigeants et fondateurs de Blablacar (co-voiturage), Airbnb (location d’appartements entre particuliers) et Lyft (co-voiturage, principalement aux E-U pour l’instant).
Passons en revue quelques unes de ces caractéristiques.
Articulation local – global
Alors que des services tels qu’Airbnb ou HomeExchange (échange de maison) s’adressent à un marché unique, global voire mondial, d’autres s’adressent à des marchés régionaux voire très locaux.
Les services de co-voiturage ou de location de voiture entre particuliers, par exemple, s’adressent à des marchés régionaux. Ils doivent donc déployer leur offre région par région. Le service de co-voiturage Lyft est par exemple présent dans une vingtaine de villes nord Américaines et prévoit son expansion en Europe. Chaque nouvelle région à conquérir fait l’objet d’un nouveau lancement.
Pas de standard de e-reputation
Lorsqu’un utilisateur s’inscrit sur un nouveau site, il repart de zéro à chaque fois ! Nous le vivons tous, non seulement nous devons re-saisir nos informations de profils mais, pire, nous partons à zéro en termes de réputation sur chaque nouveau site. Certes cela permet le droit à l’oubli, ou bien de ne pas se “trainer” une mauvaise réputation d’un site à l’autre, par exemple dans le cas où l’on s’était inscrit “pour voir”. Néanmoins, si je suis un bon échangeur de maison, il est probable que je sois un bon échangeur de voiture : c’est dommage que ces informations ne soient pas consolidées et récupérées d’un site à l’autre. Pour cela il faudrait que chaque service joue la carte de la collaboration ou bien qu’un acteur de référence s’impose. On en est loin : étrange pour les champions de l’économie collaborative …
Sécurité et confiance
La question n’est pas propre aux services participatifs mais il est évident que de par leurs capacités de mise en relation décuplées, sans intermédiaire “réel”, cette question se pose avec plus d’acuité. Des cas de coups tordus voire d’agressions ont été reportés lors de locations d’appartements par Airbnb ou de co-voiturage. Airbnb garantit (évidemment) que ces cas sont exceptionnels et qu’ils se produisent de la même manière dans l’économie traditionnelle. Certes il peut y avoir des mauvais comportements en auto-stop ou dans un Sofitel, mais il est clair qu’avec la nouvelle économie les risques augmentent, d’où l’importance du point précédent (e-réputation). On peut faire confiance aux opérateurs pour mettre le paquet sur le sujet (par exemple, Airbnb a mis en place des mécanismes de vérification d’identité, Drivy inclut une assurance complète dans son service de location de voiture), il y va de leur santé et ils ont bien conscients que quelques abus pourraient suffire à faire partir leur e-réputation en fumée …
Les embûches semées par les opérateurs historiques ou la volonté de régulation des pouvoirs publics
Ce n’est pas tant la création de nouveaux business models qui pose problème que le contournement des modèle existants, surtout lorsque ceux-ci sont hérités de longue date. Souvenons-nous de l’altercation entre un chauffeur de taxi et un chauffeur “Uber” à Nice (pour se rafraîchir la mémoire, voir ici).
Autre source potentielle de tension : la captation de la chaîne de valeur au profits de nouveaux acteurs ou la suppression d’intermédiaires de la chaine de distribution (la desintermédiation), la mise en place de circuits courts. Vous noterez que ce phénomène n’est pas spécifique à l’économie participative (l’e-commerce classique y contribue) ni au numérique (les AMAPs existent avant l’internet).
Mais si chacun se met à partager sa voiture, sa maison, sa cave, on sent bien que la problématique va décupler et pas seulement dans les pays “étatiques” comme la France (voir par exemple cet article sur les problèmes posés par Airbnb à NY). Chacun de nous va t’il devenir multi-opérateur de services ? Oui et non … La réponse de Blablacar à cette question : “les utilisateurs ne font pas des profits, ils partagent leurs coûts et leurs ressources”.
Toutes ces questions vont-elles freiner l’essor de l’économie participative, ou au contraire celle-ci va t’elle se généraliser à tous les compartiments de nos vies et au partage de l’ensemble de nos ressources, jusqu’à la moindre part de pizza ? Le second scénario me semble en bonne voie ! Va t’il s’accompagner d’un meilleur partage des ressources, plus de lien social et une limitation des excès de l’instinct de propriété … ?
Alors fions nous à la devise de Blablacar : “in trust we trust” !