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Les Civic Tech : cette chance de refonder la relation administration-citoyens

Imaginez une ville dans laquelle la majorité des décisions se prendrait de manière directe et participative après partage préalable des informations clés et débats sur une plateforme dédiée. Imaginez un conseil municipal dont l’ordre du jour serait proposé directement par les habitants depuis leurs tablettes et smartphones, avec un mécanisme incitant à la participation. Imaginez un logiciel qui permettrait, en direct, de vérifier le taux de réalisation d’un programme politique, le tout illustré par des infographies permettant une compréhension fluide des enjeux par le plus grand nombre.

Dans un pays où près de 50% des citoyens ne sont pas allés voter aux dernières élections, la démocratie a besoin d’un nouveau souffle au risque de se vider peu à peu de l’engagement et de la participation qui lui sont nécessaires.

Dans un mouvement opposé, la fameuse « uberisation » de l’économie est en marche : taxi, transports, édition, industrie culturelle… Partout où la transformation numérique passe, les modèles en place s’effacent. Alors, comment pourrait-il en être autrement de la vie civique et démocratique ?

Depuis début 2015, un mouvement semble proliférer à vitesse grand V : celui des Civic Tech. Comprenez, les « technologies civiques » ou « technologies de l’engagement ».  Elles ont un seul objectif : « hacker la démocratie » afin de replacer le citoyen en son cœur. Comme tout fait social émergent, sa définition est encore un peu confuse. Selon la traduction de la définition anglaise de Wikipédia, les Civic Tech sont des technologiques (principalement numériques) qui visent à favoriser l’engagement et la participation civique, améliorer les communications avec et entre citoyens, développer les infrastructures de prises de décisions publiques dans un but d’amélioration générale du bien public.

Global

Source : Rapport de la Knight Foundation, 2013

 

Fort de ce constat, nous souhaitons ici réfléchir aux enjeux et opportunités que pourraient amener les Civic Tech dans la refondation de la démocratie et plus particulièrement dans la relation gouvernements – administrations – citoyens. Nous vous en proposons un tour d’horizon.

 

Fluidifier l’accès à l’information et la relation administration-citoyen

Pour combattre la mal-représentation et une image parfois fermée et monolithique, les administrations pourraient avoir intérêt à s’ouvrir en proposant de nouveaux dispositifs impulsés par les Civic Tech. Si elles se préparaient à en assumer les impacts en termes de gouvernance, processus délibératifs, prise de décision, de nombreuses collectivités pourraient y voir une réelle opportunité de réinventer la relation à leurs administrés. Des solutions efficaces existent déjà et il s’en crée de nouvelles chaque jour.

Tout d’abord, une condition importante de l’engagement et de la participation citoyenne est la clarté et l’accès facile à l’information. Il est en effet souvent compliqué pour les citoyens d’avoir une vision simple, exhaustive et objective des projets portés par les administrations et leurs exécutifs. On assiste donc régulièrement à des combats stériles et confus d’argumentaires, de communications et de chiffres, difficiles d’accès pour les non-experts. Il devient dès lors difficile d’y voir clair et de souhaiter s’impliquer. Forte de ce constat, la start-up civique Voxe.org a développé une application de comparaison des programmes politiques. Son but étant de les rendre plus accessibles et plus lisibles pour les personnes en âge de voter. Cet objectif de transparence, d’objectivité et de pédagogie civique est nécessaire à la démocratie. Elle permet par ailleurs d’imaginer de nombreuses applications qui pourraient se développer localement dans le cadre de débats et consultations autour de petits et grands projets d’aménagement, ou préalablement à des referendums locaux. Par la pédagogie qu’elles promeuvent, de telles applications pourraient venir faciliter la circulation de l’information nécessaire à la prise de décision citoyenne.
Source : copie d'écran plateforme Voxe.org

Source : Copie d’écran plateforme Voxe.org

Au-delà du tri et de l’accès à l’information démocratique, un enjeu fort d’amélioration de la relation administration – citoyens réside dans la prise en compte plus grande de l’implication civique dans la vie de la cité. En terme d’information et de relation aux citoyens, les services promus par la Start-up Fluicity nous paraissent de ce point de vue tout à fait intéressants. Présentée comme une plateforme de co-construction de l’espace public, cette application mobile propose plusieurs services aux collectivités et administrés. D’une part, elle favorise un « accès à une information locale ciblée par centres d’intérêt ». Elle promeut d’autre part une mise à contribution de l’intelligence collective sur des sujets du quotidien avec la possibilité de créer des interactions directes entre habitants et élus. Enfin, elle apporte aux collectivités un moyen de mieux comprendre « l’humeur citoyenne » grâce à des outils de “big data”. Information ciblée, intelligence participative et analyse des besoins citoyens : voilà trois éléments clés à disposition des exécutifs locaux pour consolider la relation citoyen.

Source : Copie d’écran application mobile Fluicity

Dans une démarche proche, la plateforme web Civocracy s’est donnée pour objectif de faciliter « la discussion, la prise de décision et encourager l’action ». Comme l’explique son site, l’enjeu principal est de saisir « le potentiel de la technologie pour combler le manque de dialogue entre les parties prenantes et pousser les citoyens à devenir acteurs de notre société. ». Les habitants peuvent ainsi s’informer sur les projets menés par leurs collectivités, donner leurs avis, suggestions et s’engager au local.

Parce qu’ils permettent l’émergence de nouveaux usages civiques par un accès facilité à l’information et à la participation, ces outils constituent un vrai moyen de renouveler une information et un dialogue démocratique considéré de plus en plus moribonds.  Les collectivités, administrations et l’Etat pourraient ainsi se les approprier. Au-delà de cette prise de parole, certaines initiatives proposent d’aller encore plus loin.

 

Ouvrir le processus d’élaboration des lois et des politiques publiques

Outre l’accès à l’information, les Civic Tech se présentent comme une chance inouïe d’ouvrir l’opaque et distant processus d’élaboration des lois et des politiques publiques.

Tout d’abord, on ne peut évoquer la nécessaire transparence dans le processus de construction des lois sans évoquer le manque d’ouverture et de visibilité du travail effectué par les assemblées. Un projet comme la Fabrique de la loi permet d’apporter des réponses à ce manque de visibilité. Issu d’un partenariat de recherche financé par la région Ile-de-France avec deux laboratoires de Science Po (Medialab et CEE), le projet de La Fabrique de la loi a abouti fin 2014. Cette plateforme permet de suivre en temps réel l’évolution de la loi au fil de la procédure parlementaire. L’interface donne la possibilité d’explorer près de 300 projets ou propositions de loi promulgués depuis 2010. Les fonctionnalités sont assez approfondies puisqu’elles offrent aux citoyens l’opportunité de plonger dans les modifications votées par les parlementaires pour chacun des projets de textes, de comparer les amendements déposés à chaque étape, et de consulter les interventions par groupe parlementaire. Nous pourrions imaginer une application de cet outil au niveau local. Elle permettrait elle-aussi d’apporter la transparence et la visibilité manquante dans le processus d’élaboration des décisions règlementaires des exécutifs locaux.

Copie d'écran du site RegardsCitoyens

Source : Copie d’écran plateforme La Fabrique de la Loi

Ensuite, parmi les initiatives émergentes liées à la construction des décisions, les plateformes dédiées aux débats démocratiques et au vote occupent une place de choix. L’un des premiers projets développés en France fut la plateforme Parlement & Citoyens. Elle invite les citoyens à intervenir par l’apport d’idées et de propositions dans le travail parlementaire. A l’issue d’une période de consultation, la plateforme effectue une synthèse dont certains arguments peuvent être repris dans les rapports et propositions de lois.

Dans le même dynamique, le projet DemocracyOS est lui aussi très prometteur. Il s’agit d’une plateforme open source dont le but est de favoriser la participation de tous à la fabrique des décisions politiques. Initiée en 2012 par des développeurs et politologues en Argentine, elle a rapidement fait des émules si bien que des communautés DémocracyOS ont fleurit un peu partout dans le monde avec la ferme intention de faire évoluer les fonctionnalités de la plateforme au bénéfice de tous. Mondialisé et communautaire, ce type de projet civique est donc très représentatif de l’ouverture et de et la philosophie des communs porté et diffusé par internet et dont la démocratie pourrait s’inspirer. Libre, ouverte, facile d’accès et réplicable, cet outil pourrait facilement être mis entre les mains de nombreuses villes, petites ou grandes, pour faire évoluer à peu de frais la co-construction des politiques locales.

 

DemocracyOS

Source : Copie d’écran plateforme DemocracyOS France

Enfin, nous ne pourrions pas évoquer l’ouverture du processus de création des lois et politiques publiques sans évoquer les plateformes de concertation et de débats. Depuis quelques années, certaines villes et métropoles comme Bordeaux, Nantes ou Paris se sont mises à en déployer. Dans la même dynamique, le gouvernement français a d’ailleurs pour la première fois de son histoire organisé une consultation en amont du vote du projet de loi pour une République Numérique. Résultat, ce sont près de 21 330 contributeurs qui ont voté près de 150 000 fois et déposé plus de 8500 arguments. Une première qui en appelle vraisemblablement d’autres. Utilisées pour des projets ponctuels ou de manière durable, ces plateformes possèdent un triple intérêt. Tout d’abord, elles représentent l’occasion de communiquer largement et à peu de frais sur l’action des exécutifs. Ensuite, elles permettent de recueillir certaines idées émanant de diverses parties prenantes citoyennes, associatives et économiques, d’organiser le débat. Enfin, même si les décisions finales appartiennent in fine aux représentants élus, elles véhiculent pour les institutions qui les promeuvent, une image d’ouverture et de modernité. Un vrai premier pas en somme.

 

Copie d'écran de la plateforme utilisée dans le cadre de la concertation pour une République Numérique

Source : Copie d’écran plateforme republique-numerique.fr

Ces différents exemples montrent donc que les outils, nombreux et aux fonctionnalités déjà avancées, sont prêts pour initier l’ouverture des processus de production des lois et politiques publiques.

 

Un modèle économique nécessairement open-source ?

GreenTech, biotech, fintech : comme pour toutes les « tech », les questions de modèle économique et de contrôle de la gestion des données restent centraux. Business ou citoyennes, il n’y a pas une Civic Tech mais bien plusieurs. Or, un débat semble d’ores et déjà émerger entre les défenseurs d’une Civic Tech open source, ouverte, transparence, contrôlable, évolutive, comme doit l’être la démocratie, et celle plus entrepreneuriale qui, soucieuses de se pérenniser économiquement, ne partage que de manière limité ce souhait d’ouverture. Il faut dire que le débat est complexe. Il a d’ailleurs émergé lors de la consultation pour une République Numérique organisé par le gouvernement qui a opté pour une plateforme qui n’était pas open source.

Et maintenant ?

Ce contexte actuel et fortement émergent des technologies de l’engagement n’est pour le moment l’apanage que d’une minorité d’experts et de citoyens très informés qui tentent activement de les diffuser et de les développer. Nous l’avons vu, ces plateformes sont nombreuses et leurs fonctionnalités de plus en plus matures. Dorénavant, l’enjeu central devient donc de les faire changer d’échelle en terme de volume d’utilisateurs. Puisqu’une application Civic Tech n’offre pas un service dont le retour sur investissement est directement mesurable, comment inciter les internautes citoyens à les utiliser massivement ? Au-delà de l’appel à leur fibre civique, quelles recettes employer pour susciter l’engagement ? De leur côté, la majorité des administrations, petites ou grandes n’en ont, elles non plus, que minoritairement connaissance. Sont-elles d’ailleurs prêtes à pouvoir assumer l’impact des transformations qu’elles occasionnent ?

 

Par conséquent, au-delà des cercles restreints, la route de la massification des usages est encore longue. Pour cela, il faudra vraisemblablement que ces solutions continuent de se greffer aux usages numériques actuels tout en répondant au besoin très clair et fortement exprimé de « démocratisation de la démocratie ». Si le défi est relevé, tout le monde devrait y gagner.

 @Chevalier_Th

 

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