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Le Chief Digital Officer : une nouvelle opportunité pour la transformation numérique du secteur public ?

Plus une semaine ne passe sans la publication d’articles sur les Chief Digital Officer ou CDO. Il faut dire que le milieu des technologies de l’information et du management adore les nouveaux concepts, et celui –ci fait couler beaucoup d’encre. On le cite souvent dans le secteur privé mais rarement dans le secteur public. Cette fonction en forte croissance pourrait-elle également émerger dans ces organisations ? La fiche de poste est-elle adaptable à ce contexte si particulier ?

 

Une fonction potentiellement adaptée au contexte actuel des administrations…

Chief Digital Officer (CDO) : trois lettres et un anglicisme qui pourrait se traduire par « Responsable de la transition numérique ». Dans les grandes organisations privées, on assiste en effet depuis 2 ans, à l’émergence de ces postes. Cette nouvelle fonction n’est peut-être que transitoire mais on ne peut l’ignorer. Aujourd’hui, 40% des sociétés* du CAC 40 ont déjà nommé des Chief Digital Officer pour animer leur transformation numérique, et ce n’est pas fini. Leur rôle est assez clair. Il s’articule autour de quatre objectifs fortement interdépendants : imaginer la stratégie numérique de l’entité (services et offre), accompagner l’évolution des systèmes d’information, coordonner l’évolution des métiers et acculturer les collaborateurs aux nouvelles pratiques. Dans notre récente étude intitulée “Equiper et organiser son entreprise pour se transformer”, Arnaud RAYROLE évoque même le fait que les CDO seront certainement les PDG de demain. Vaste question…

Qu’en est-il alors dans les organisations du secteur public ? Tout d’abord, elles partagent de larges similitudes contextuelles avec leurs homologues du secteur privé. Elles évoluent elles aussi dans un contexte de contrainte budgétaire, doivent impérativement s’adapter à l’évolution des usages citoyens et ne peuvent pas se limiter à réduire uniquement leurs dépenses sans profiter de cette instabilité pour changer leur manière de fonctionner.

Ensuite, comme dans le monde privé, de nouvelles compétences, de nouvelles entités, de nouveaux métiers doivent être créés pour faire évoluer l’activité de ces organisations afin d’être en phase avec les besoins des citoyens et du service  attendu. L’objectif est clair : il s’agit de faciliter la collaboration et la transversalité, insuffler une véritable culture numérique interne et ouvrir l’organisation pour des rapports plus étroits entre agents et administrés.

Dans ce contexte, il est assez tentant d’imaginer la création d’un poste de Chief Digital Officer public. Rattaché au DGS ou à la tête d’une direction générale adjointe dédiée, il pourrait être positionné stratégiquement au sein du comité exécutif. Il serait doté d’une équipe et de moyens élargis pour piloter efficacement la transition numérique de l’entité à l’interface entre les différentes directions métiers et la Direction Générale. Vaste programme …

Une fausse bonne solution ?

 Oui mais voilà, les choses sont un peu moins limpides en pratique. Tout d’abord, dans la majorité des organisations publiques, le CDO n’a pas été attendu pour que la transformation numérique soit initiée.

Cette transformation est généralement portée par la DSI. Cette direction a généralement la charge d’ouvrir et de faire évoluer le système d’information, d’administrer les applications métiers, de faire évoluer les postes de travail, d’assurer la mise en œuvre de téléservices, de gérer les données… Les DSI portent eux aussi de grands projets d’administration numérique transversaux et étendus. Ils vont même dans certains cas jusqu’à piloter l’accompagnement lié à la mise en œuvre de ces nouveaux usages (avec la DRH ou la DirCom). On se rapproche alors de la fiche de poste du CDO, bien que le profil diffère. Dans de telles situations, il parait plus simple d’intégrer, dans un premier temps un DSI au comité exécutif de l’organisation que de nommer un CDO extérieur. Cette option permet d’opérer une mutation plus en douceur.

Ensuite, il peut être vain de recruter un CDO si une réflexion sur l’organisation, les modes de collaboration et la culture numérique des agents n’est pas préalablement effectuée. En effet, la pyramide des âges, notamment dans les collectivités, fait que l’acculturation au numérique est encore loin d’être acquise car souvent peu accompagnée. Aussi, les administrations peinent-elle réellement à mettre en œuvre de la transversalité dans leurs modes de collaboration. Pourquoi ? Car ce n’est pas dans leur culture. Leur autonomie, liée à la décentralisation, est historiquement récente. Cette situation a produit et ancré une culture profondément hiérarchisée où les agents sont recrutés par concours sur des fonctions catégorisées verticalement (A, B, C…). Enfin, et c’est incontestable, la légitimité de l’action publique vient d’en haut, de l’élu, du pouvoir politique. Dans un tel contexte, il peut être prématuré de vouloir recruter un CDO, si un travail plus général sur l’organisation et la culture administrative n’est pas préalablement ou parallèlement mené.

Enfin, il n’apparait pas si facile d’identifier le profil type d’un CDO public. Coincés entre les profils très administratifs de DGS passés par les bancs des ENA, INET et autres IRA, et les penchants très numériques de professionnels provenant des start-ups ou pure players de l’industrie du web, il y a un écart culturel significatif. Pour s’insérer dans le costume que la fonction implique, le CDO public devrait donc posséder un profil exécutif et être le porteur d’une culture hybride, celle du management public d’une part et des nouvelles technologies de l’autre. Et là encore, il n’est pas certain qu’ils soient nombreux sur le marché.

 

Alors, CDO ou pas CDO ? La fonction pourrait en théorie s’épanouir aisément dans un écosystème public compte tenu du contexte et du besoin urgent de transformation qu’il rencontre. Néanmoins, il ne faut pas croire que le recrutement d’un tel profil dans une administration puisse être une solution miracle. Recruter un Chief Digital Officer public est un pari très ambitieux qui doit s’ancrer dans une mutation générale de l’organisation portée par le sommet de la pyramide et les élus. Ce qui nous amène à une autre question : n’est-ce pas finalement l’apanage de la fonction de Directeur Général des Services que de porter un projet d’administration aussi unique, aussi audacieux, aussi nécessaire que la transformation numérique des organisations publiques ?

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* Source : EtudeRSE tome 7 – S’organiser et s’équiper pour se transformer”, Lecko, 2015

 

Thibault Chevalier

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